Banal accident ou véritable drame ? La légende court toujours...
« Ce jour, 30 juillet 1927, arriva dans le petit village de Guillaumes une superbe voiture américaine, qui à cette époque où les voitures étaient plutôt rares ne pouvait passer inaperçue dans la localité. Il en descendit un couple qui retint une chambre dans un hôtel. Les indiscrétions vont vite dans les villages; on dit qu'il ne s'agissait point d'un prince et d'une princesse mais d'un couple en voyage de noce, "de gens très riches, qui avaient le pourboire facile", ce qui est comme on le sait la meilleure formule pour obtenir une grande considération. Ce que notre enquête plus précise nous a permis de savoir est que lui s'inscrivit sous le nom de Bernard Balles ou Bailles, sans profession, domicilié à Vésinet (Seine et Oise) accompagné de son épouse, une jeune parisienne, Marie Louise Pion, née le 5 février 1905, donc âgée de 22 ans à l'époque.
A 9 heures du soir, le couple déclara à son hôtelier qu'il désirait visiter les gorges qu'ils avaient vues en venant. La puissante limousine balaya des feux de son éclairage la route et fonça vers les gorges où elle s'arrêta à l'entrée, devant le pont qui enjambe le Var et qui faisait alors communiquer la voie ferrée gauche du tramway à la voie ferrée droite, en parallèle alors avec la route très étroite. Ce pont est un des endroits les plus saisissants des gorges, surplombant le Var d'environ 80 m. Il est le point le plus vertigineux.A 10 heures du soir, la puissante voiture revint à toute vitesse au village; un homme affolé en sortit en déclarant que sa femme trompée par l'obscurité, avait sauté du pont. » Tel est le récit qu’en fit le journal de l’époque… S’inspirant de ce fait divers, l'auteur s'attache à combler les zones d’ombre qui apparaissent en creux dans les explications fournies par la presse de l’époque. Passionnée d'histoire, toutes ses descriptions sont parfaitement documentées et, à travers cette enquête hors du commun, c'est toute la vie du village dans les années 30 qui se déroule sous nos yeux. |
L'extrait
Bernard Baillet – Auguste Charles Marie Bernard Baillet, dit Bernard, pour être précis – était arrivé la veille à Guillaumes, accompagné de sa jeune épouse Marie Louise, née Pion. Ils s’étaient aussitôt engouffrés dans le hall de l’hôtel, laissant sur leur faim les curieux déjà attroupés. Mais la rumeur avait couru : un substantiel pourboire laissé au commis chargé de porter leurs malles et, surtout, la taille de leur automobile eurent tôt fait de les faire passer pour des princes. On parla de milliardaires et, comme on n’en connaissait pas d’autre, on cita Monsieur Rothschild. Il faut dire que la voiture en imposait : imaginez une Packard modèle 426, version Touring Torpedo, quatre portes. Noire. Avec une ligne bordeaux pour souligner le haut des portières. Les hommes parlèrent moteur – on disait qu’elle montait à 120 kilomètres à l’heure – et se demandèrent sur quelles routes on pouvait bien atteindre de telles vitesses de trompe-la-mort. Les femmes épiloguèrent sur l’élégance de la ligne bordeaux, et allongèrent le cou en calculant déjà le confort des sièges et l’emplacement du pique-nique. Et, bien que personne ne pensât à le leur interdire, les enfants tendirent la main sans toutefois oser s’aventurer à caresser les chromes poussiéreux ou la mascotte ailée qui tenait lieu de figure de proue au splendide vaisseau.Avec le soir, la chaleur retomba un peu et, avec elle, l’émotion. A neuf heures, les dernières chaises poussées sur le seuil des maisons une fois rentrées, les lumières s’éteignirent. Au même moment, le couple de touristes sortait de l’hôtel, la manivelle entraînait le moteur qui démarrait en toussant, la portière de la Packard claquait avec force et la voiture s’engouffrait vers la route des gorges, suivie d’un nuage de poussière déshydratée.
– Neuf heures ? Ce n’est pas une heure de chrétiens, ça !
Quelques têtes curieuses apparurent, on maugréa un peu mais, bien vite, la sagesse populaire eut raison de la curiosité, et l’on conclut : C’est bien des Parisiens, vaï ! ce qui, dans toute la Provence, exprime mieux qu’un long discours toute la condescendance qu’inspirent aux autochtones ceux qui se croient.
Le guide touristique mentionnait pourtant : « C'est une de ces créations fantastiques de la nature qu'on ne peut s'expliquer. Dans les schistes rouges parsemés par endroits de veines verdâtres, dans des gouffres dantesques, le Var s'est frayé un passage et on l'entend tout en bas mugir. Les roches ont été découpées par un sculpteur mystérieux qui les a façonnées, leur donnant des formes humaines, telle la Gardienne des roches qui s'érige à leur début, comme pour en défendre le passage. La végétation aride, le bruit sourd du Var et des cascades, le décor, tout donne en ces lieux une vision d'apocalypse, surtout la nuit. » Mais, de guide touristique, les villageois n’en possédaient point.
Une heure plus tard, la fraîcheur nocturne pénétrait déjà dans les chambres par les persiennes laissées entrouvertes. La place de Provence dormait et une oreille attentive aurait pu discerner quelques ronflements trouant de ci de là le silence de la nuit quand, soudain, un rugissement annonça crescendo le retour en trombe de l’automobile. Un claquement de portière plus tard, une poignée de Guillaumois endormis apparaissaient aux fenêtres pour entendre le touriste hurler à qui voulait l’entendre que sa femme avait sauté du pont.
Quoi ? A dix heures ? Mais qu’est-ce qu’il raconte ? Quelques persiennes se refermèrent sur des dormeurs incrédules pressés de retrouver leurs rêves, d’autres s’écartèrent pour laisser passer des visages curieux venus assister, comme au spectacle, aux derniers exploits de ces couillons de Parisiens.
A quelques pas de l’auberge, une paire de volets verts encadrait le visage ébouriffé et endormi du brigadier Olivesi. Un instant plus tard, il apparaissait sur le pas de sa porte, en robe de chambre et képi, et invitait Monsieur Baillet à pénétrer dans sa salle à manger. Pour faire cesser le scandale, précisa-t-il. Madame Olivesi, Cremona pour les intimes, était demeurée à l’étage.
A onze heures moins le quart, le même brigadier Dumenicu Olivesi assisté d’Augustin Laugier, menuisier, et d’Antoine Durandy, aubergiste, armés de fanaux et de bâtons, se transportaient sur les lieux, à bord de la vieille Citroën B2 de la Gendarmerie. Bernard Baillet suivait, seul, dans la Packard.
– Neuf heures ? Ce n’est pas une heure de chrétiens, ça !
Quelques têtes curieuses apparurent, on maugréa un peu mais, bien vite, la sagesse populaire eut raison de la curiosité, et l’on conclut : C’est bien des Parisiens, vaï ! ce qui, dans toute la Provence, exprime mieux qu’un long discours toute la condescendance qu’inspirent aux autochtones ceux qui se croient.
Le guide touristique mentionnait pourtant : « C'est une de ces créations fantastiques de la nature qu'on ne peut s'expliquer. Dans les schistes rouges parsemés par endroits de veines verdâtres, dans des gouffres dantesques, le Var s'est frayé un passage et on l'entend tout en bas mugir. Les roches ont été découpées par un sculpteur mystérieux qui les a façonnées, leur donnant des formes humaines, telle la Gardienne des roches qui s'érige à leur début, comme pour en défendre le passage. La végétation aride, le bruit sourd du Var et des cascades, le décor, tout donne en ces lieux une vision d'apocalypse, surtout la nuit. » Mais, de guide touristique, les villageois n’en possédaient point.
Une heure plus tard, la fraîcheur nocturne pénétrait déjà dans les chambres par les persiennes laissées entrouvertes. La place de Provence dormait et une oreille attentive aurait pu discerner quelques ronflements trouant de ci de là le silence de la nuit quand, soudain, un rugissement annonça crescendo le retour en trombe de l’automobile. Un claquement de portière plus tard, une poignée de Guillaumois endormis apparaissaient aux fenêtres pour entendre le touriste hurler à qui voulait l’entendre que sa femme avait sauté du pont.
Quoi ? A dix heures ? Mais qu’est-ce qu’il raconte ? Quelques persiennes se refermèrent sur des dormeurs incrédules pressés de retrouver leurs rêves, d’autres s’écartèrent pour laisser passer des visages curieux venus assister, comme au spectacle, aux derniers exploits de ces couillons de Parisiens.
A quelques pas de l’auberge, une paire de volets verts encadrait le visage ébouriffé et endormi du brigadier Olivesi. Un instant plus tard, il apparaissait sur le pas de sa porte, en robe de chambre et képi, et invitait Monsieur Baillet à pénétrer dans sa salle à manger. Pour faire cesser le scandale, précisa-t-il. Madame Olivesi, Cremona pour les intimes, était demeurée à l’étage.
A onze heures moins le quart, le même brigadier Dumenicu Olivesi assisté d’Augustin Laugier, menuisier, et d’Antoine Durandy, aubergiste, armés de fanaux et de bâtons, se transportaient sur les lieux, à bord de la vieille Citroën B2 de la Gendarmerie. Bernard Baillet suivait, seul, dans la Packard.