L'extrait
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Nous avons tous un aïeul héroïque, aussi fascinant que mal connu, dont les hauts faits font la gloire de nos familles. C’est tel grand-oncle explorateur qui, en Afrique… c’est telle arrière-grand-mère, une maîtresse femme comme on disait alors, qui a scandalisé son époque par sa liberté de ton et de mœurs. C’est mon mari dont l’aïeul aurait inventé le scaphandre autonome avant d’en revendre le brevet pour financer ses études de médecine.
Tantôt encensés, tantôt éclipsés, ces êtres à part brillent d’un éclat particulier. Ce sont les mêmes qui font la fierté ou la honte de leurs descendants et qui sont à l’origine de maints secrets de famille. Chez moi, le héros se nommait Antonio, et c’était mon arrière-grand-père. À partir de documents d'archives, et non sans humour, l'auteur reconstitue une saga familiale aux multiples rebondissements, ancrée dans l'histoire mouvementée du premier tiers du vingtième siècle. |
J’avais trois ans lorsque mourut mon arrière-grand-mère. Il est typique de constater à quel point les anciens – qui ont tant encombré nos dimanches d’indigestes repas familiaux et nous ont si fort irrités en ressassant à l’envi les souvenirs de leur jeunesse – sortent magnifiés de l’épreuve de la mort. Rapidement, mon arrière-grand-mère redevint « la bonne Mamie », mais surtout la Comtesse, mon père ne se lassant pas de répéter que cette mort le faisait Vicomte. Quinze ans plus tard, le décès de son propre père le faisait Comte à son tour, mais Mai 68 était passé par là et l’heure n’était plus aux titres de noblesse.Ma mère, quant à elle, n’avait jamais cru à cette « soi-disant » noblesse et ne manquait pas une occasion de stigmatiser les goûts de grandeur de sa belle-famille. Jalousie d’une famille d’artisans et de petits commerçants ? Vengeance d’une femme déçue par sa vie ? Aucun enfant ne devrait jamais analyser les relations entre ses propres parents.
Le fait est que ces derniers décident un beau jour de se rendre à Rome, berceau de mon arrière-grand-père, afin de faire expertiser la chevalière aux armes de la famille. Rendez-vous est pris au Vatican, où ils diront avoir été accueillis par un cardinal – excusez du peu ! – lequel les conduit au Collège héraldique et les laisse entre les mains du Préfet de l’Archivio Segreto Vaticano. Un simple coup d’œil suffit au désagréable, qui lâche en substance : ces armes ont été forgées – entendez : elles sont fausses, ou du moins falsifiées. Quant au nom de S***, il ne figure pas dans nos registres. Un à zéro pour ma mère qui, toute sa vie, en fera des gorges chaudes.
Le Libro d’oro de la nobiltà italiana du Collegio Araldico, édition de 1910, tombé par hasard entre mes mains une trentaine d’années plus tard, ne m’éclairera pas davantage.
D’après ma mère, Antonio était un imposteur, pas plus noble que fortuné, qui avait vécu aux crochets de sa belle-famille, issue de vignerons ardéchois. Ne serait-ce que par fidélité à son roman familial, mon père ne pouvait souscrire à cette interprétation. Et moi ? Comment forgerai-je le mien ? C’est peut-être pour me retrouver au-delà de toutes ces contradictions que j’en vins à fouiller archives familiales et municipales et à arpenter les lieux où s’écrivit l’histoire de la tribu, afin de tenter de reconstituer une interprétation qui me satisfasse. Ma vérité.
Le fait est que ces derniers décident un beau jour de se rendre à Rome, berceau de mon arrière-grand-père, afin de faire expertiser la chevalière aux armes de la famille. Rendez-vous est pris au Vatican, où ils diront avoir été accueillis par un cardinal – excusez du peu ! – lequel les conduit au Collège héraldique et les laisse entre les mains du Préfet de l’Archivio Segreto Vaticano. Un simple coup d’œil suffit au désagréable, qui lâche en substance : ces armes ont été forgées – entendez : elles sont fausses, ou du moins falsifiées. Quant au nom de S***, il ne figure pas dans nos registres. Un à zéro pour ma mère qui, toute sa vie, en fera des gorges chaudes.
Le Libro d’oro de la nobiltà italiana du Collegio Araldico, édition de 1910, tombé par hasard entre mes mains une trentaine d’années plus tard, ne m’éclairera pas davantage.
D’après ma mère, Antonio était un imposteur, pas plus noble que fortuné, qui avait vécu aux crochets de sa belle-famille, issue de vignerons ardéchois. Ne serait-ce que par fidélité à son roman familial, mon père ne pouvait souscrire à cette interprétation. Et moi ? Comment forgerai-je le mien ? C’est peut-être pour me retrouver au-delà de toutes ces contradictions que j’en vins à fouiller archives familiales et municipales et à arpenter les lieux où s’écrivit l’histoire de la tribu, afin de tenter de reconstituer une interprétation qui me satisfasse. Ma vérité.